Protectorats – Ray Nayler

Hello toustes !

Il m’arrive parfois (juste parfois, hein, je sais faire des choix sinon1) de suivre aveuglément l’avis de mon libraire. Alors que j’avais dans les mains Instanciations de Greg Egan, celui-ci intervint subrepticement pour me glisser à l’oreille2 « Hey ? sinon t’as lu Protectorats de Ray Nayler ? Parce que c’est un des essentiels de SF de ces derniers temps, selon moi ».

Pris d’un accès de folie3, je reposai donc le Greg Egan pour me saisir du recueil qui nous intéresse aujourd’hui, Protectorats de Ray Nayler.

Lu pour le défi lecture 2024 des mordus, pour lequel je valide la catégorie #P1D6 – Un livre qui se déroule sur Terre, mais ni en Europe, ni en Russie ni aux États-Unis (Même si on a quelques textes en Californie, et dans l’Espace, mais reste majoritairement en Turquie), J’aurais pu choisir de cocher également #P6D2 Un livre à multiple narrateur-trice-s ou encore #P7D4 Un livre ou se déroule une catastrophe naturelle.

🕰️ Prenons une base connue : Notre univers4. Rembobinez à une période de notre Histoire où les perspectives sont très sombres, à l’aulne du pire drame de notre histoire contemporaine5, et faites y écraser un vaisseau extraterrestre6. Mélangez un peu tout ça et hop ! Vous obtenez une uchronie dans laquelle la Seconde Guerre mondiale s’est déroulée différemment grâce aux technologies alien déchiffrées7 par l’Humanité.

👀 Oui, je sais, pour l’instant, on a tout de même une certaine impression de déjà-vu. Mais attendez donc un peu.

🌍 Dépassons un peu ce contexte, et avançons un peu dans le temps. Maintenant que cette guerre commence à rejoindre les mémoires, l’Humanité a quelque peu évolué, et a commencé à faire usage de ces technologies à des fins plus pacifiques. Et c’est là que se positionne Protectorats : dans une phase où l’Humanité pense à l’avenir, et où les défis sont ceux que nous connaissons de nos jours : Survivre aux enjeux d’un environnement qui change.

🧠 Alors quelles sont-elles, ces technologies ? On parlera bien évidemment de voitures volantes et de robots8, mais aussi et surtout de l’émergence du « connectome », modèle du cerveau et de la pensée permettant de numériser — et de reconstituer, sinon c’est pas drôle — la conscience d’un être humain — mais pas que ! — Que ce soit dans un autre hôte biologique, dans un androïde, où même d’autres éléments plus cocasses9. C’est une des idées clés dudit recueil, et l’auteur ne se prive pas, au fil de nouvelles pourtant indépendantes, d’en explorer les conséquences, et d’en chercher l’impact sur nos devenirs10.

🕵️‍♀️ L’auteur couvre ainsi des thématiques et des genres ma foi fort variés : Lorsqu’il ne nous emmène pas dans une enquête plongé.e.s dans les boucles mémorielles des victimes étudiées – parfois au péril de la santé des enquêteurices -, l’auteur nous accompagne à l’autre bout de l’univers explorer des planètes inhospitalières par les yeux d’humains transmis par laser dans des hôtes biologiques ou mécaniques envoyés sur place des années auparavant. Ou dans des lieux et environnements plus familiers, comme dans une famille où le papa n’est plus, remplacé par un robot nounou, ancien militaire, ou encore dans le cadre intime d’une relation entre deux personnages libérés et « incorporés » une fois l’année hors des simulations qui les hébergent… Voire, à l’occasion, des contes philosophiques explorant la notion de conscience et de son émergence, de mémoire, d’oubli, et d’identité… C’est riche, très riche, et toujours traité finement via le regard de personnages ayant toustes une sensibilité et une personnalité marquée… Brillant.

🤓 Ray Nayler n’oublie pas non plus les enjeux qui sont les nôtres : Comme dans notre monde, l’on observe des dérèglements climatiques entrainant drames quotidien et intime et catastrophes mondiales, questionnant nos réactions face à ces bouleversements majeurs, et explorant ce qui compte vraiment dans ces conditions…

🏁 Au chapitre des points forts, j’ai été fortement marqué par la capacité qu’a l’auteur à terminer ses histoires de la plus belle des manières : Tantôt avec humour, toujours avec émotion, parfois dans une ambiance douce-amère qui nous laisse là, les bras ballants, ne sachant s’il nous faut rire ou pleurer11. Rarement, en tout cas, je n’aurais vu venir la fin, même si une fois ou deux, j’ai pu émettre quelques doutes sur ma compréhension12. Un grand point fort, tant l’exercice apparait difficile dans bien des nouvelles et des recueils.

📚 Un mot pour le travail d’édition : J’ai lu à de nombreux endroits le soin qu’avaient apporté les équipes à sélectionner et à ordonner leurs textes : Je me joins à ce constat. On en vient même à oublier qu’il s’agit de nouvelles indépendantes, et l’on parvient petit à petit à comprendre le lore13 du monde imaginé : une belle cohérence qui pourrait faire passer le livre de recueil à celui de roman, avec quelques retouches mineures14. Et lorsque l’on se pose la question du « pourquoi15« , il suffit de continuer sa lecture pour avoir sa réponse, deux ou trois nouvelles plus loin.

😍 Au final, c’est sans conteste mon recueil de nouvelles préféré de l’année (pour l’instant), et je ne peux qu’être en accord avec le jury du Grand Prix de l’Imaginaire, qui lui a décerné le titre de Meilleure Nouvelle Étrangère. Amplement mérité !

😍 Et s’il fallait en douter, c’est encore une preuve — s’il en fallait une ! — que je kiffe mon libraire, et que je n’ai pas fini de suivre ses conseils16 !

📖 Résumé

« Rappelez-moi comment vous êtes morte ?
– À quel moment ?
– La dernière fois. »
Irem avait l’impression que sa nouvelle main, qui tapotait la table comme un sémaphore courroucé, appartenait à quelqu’un d’autre. Elle n’avait pas encore pris ses marques dans le vacant que l’Institut lui avait attribué. Il lui paraissait flasque, comme une salopette trop grande. Elle passa la langue derrière des dents qui n’étaient pas les siennes et poussa un soupir…

Né au Québec, mais ayant grandi en Californie, Ray Nayler a vécu et travaillé à l’étranger pendant deux décennies – en Russie, au Turkménistan, au Tadjikistan, au Kazakhstan, au Kirghizistan, en Afghanistan, en Azerbaïdjan, au Viêt Nam et au Kosovo, autant de pays dont il maîtrise la langue. Diplômé de la School of Oriental and African Studies de Londres, il est actuellement chercheur invité à l’Institute for International Science and Technology Policy de l’université George Washington. Annoncé en France aux éditions du Bélial’, The Mountain in the Sea, son premier roman, a été célébré par une critique incandescente — de Jeff VanderMeer à David Mitchell — et vient de remporter le prix Locus.

Sans équivalent en langue anglaise, le présent recueil, composé avec l’exigence coutumière de la collection « Quarante-Deux », est l’acte de naissance, aux yeux des lecteurs francophones, d’un auteur de science-fiction contemporain essentiel.

🗒️ Notes de bas de page

  1. C’est complètement faux. ↩︎
  2. Oui, je suis d’accord, c’est bizarre. Mais vous pouvez continuer à douter de ma fiabilité concernant ces p’tits morceaux de vie. ↩︎
  3. ou de raison, mais je ne sais choisir : J’aurais pu prendre les deux. Je crois que je suis tel un meuble ikéa: un peu monté de travers. ↩︎
  4. Encore que… ↩︎
  5. Et je ne parle pas du tout du jour ou Kendji Girac a un peu trop picolé. ↩︎
  6. « Oh flûte ! en plein sur l’Académie française ! Mince alors ! » ↩︎
  7. Ils ont fait du reverse engineering, quoi, comme on dit sur Linkedin. ↩︎
  8. Mais pas de vaisseaux qui font pioupiou dans l’espace. ↩︎
  9. Quand je serai grand, je serai grille-pain. J’ai toujours eu des ambitions étranges. ↩︎
  10. Il fait de la SF, quoi. ↩︎
  11. Un peu comme quand je vois des photos trop cool des copain.e.s qui font les cons aux imaginales… Je veux y’allllllerrrr :'( ↩︎
  12. Ou alors, je m’incarne en flèche. Ça me changerait. ↩︎
  13. J’crois que c’est un mot à la mode. Alors, j’y succombe, comme un gland. ↩︎
  14. C’est-à-dire, avec une pioche. Ce qui est beaucoup moins précis qu’avec un stylo. ↩︎
  15. J’entends d’ici mes camarades coachs « naaaan mais faut pas dire pourquoi faut dire pour quoiiiii c’est pas pareiiil l’espace change toooout ». Grille pain, vous disais-je. ↩︎
  16. L’Atalante à Nantes, vazy, kestuveufaire. Cela dit, je jetterai tout de même un jour sur le Greg Egan dont je cause au début… ↩︎

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