La Main Gauche De La Nuit – Ursula Le Guin

Cet article est un peu particulier: c'est le tout premier auquel j'ai pu participer, en lecture duo, au sein du groupe Facebook "Les Mordus de Science Fiction, Fantastique et Fantasy. 

Nous l'avons écrit à deux, avec le camarade Seb Goku. J'ai donc reproduit cet article avec son aimable autorisation*.

* en fait je lui ai pas demandé mais il est sûrement d'accord.

Salut les mordus ! Laissez moi vous conter notre aventure « lecture duo », telle que notre camarade Seb Goku et moi même l’avons vécue… Une aventure pas piquée des cannetons ! Allez, accrochez vous à vos mains, c’est parti !

Par un doux matin de Janvier, 20c découvrit un post Facebook, réseau symbolique de l’effondrement mondial et de la déliquescence inéluctable de l’humanité – si tant est que l’on puisse encore la qualifier de la sorte –, du fieffé Jean-Yves Loisy. Ce dernier proposait alors pour la dernière fois de sa courte carrière – petit ange parti trop tôt – de se joindre à l’aventure d’une lecture en duo. Prenant son clavier à deux mains (on déforme les expressions comme on veut et on vous emmerde), la souris en coin, le bougre s’inscrivit tout de go. Quelle ne fut pas sa surprise en découvrant quelques jours plus tard l’identité de son binôme dans cette extraordinaire quête du partage littéraire. Déjouant toutes les probabilités, surmontant tous les obstacles, il était désormais corps et âme (bon… au moins clavier et écran) associé au Franck Drebin des Mordus : le légendaire Seb Goku.

Explorant la PAL de son comparse, le chevalier 20c s’intéressa alors à une autrice.

« Une autrice ?!?

– Attendez excusez nous… vous êtes… ?

– Jean Michel. Quoi, j’ai pas le droit de parler c’est ca ? c’est la censure gaucho-wokiste ??

— Euh…. hum… Donc, ouais, une autrice. Paraît que c’est le thème.

— C’est bizarre, non ?

— Ben… pas trop.

— Quand même, hein ! V’là qu’elles écrivent, maintenant ?!? Manquerait plus qu’on leur demande leur avis, quoi !

— Merci pour ton intervention, Jean-Michel Modernité. » (1)

Bref, nous disions donc… Ah oui ! Explorant la PAL de son comparse, le chevalier 20c s’intéressa tout particulièrement à une autrice qui n’était pas encore parvenue à se faire une place dans sa bibliothèque, à savoir Ursula K. Le Guin, avec son célèbre roman SF : La Main Gauche de la Nuit.

En gros, ça parle de quoi ?

Dans un futur pas tout à fait proche, Genly Aï est envoyé par l’Ekumen pour rallier la planète Nivôse à cette organisation basée sur les échanges entre les différents peuples humains. Sa mission sera perturbée par deux éléments inattendus : un climat de type congélatorique pour le moins hostile, et une facétie de l’évolution qui a amené les humains de Nivôse à être asexués la plupart du temps. Ces éléments de contexte ayant pour conséquence une organisation totalement différente de la société, de la politique et, finalement, du monde de Nivôse…

Respire, Jean-Michel, ça va bien se passer, on va tout t’expliquer.

« Ouais, je veux bien, ouais ! Pourquoi ce titre, déjà ?

— Alors ça, c’est assez simple, Jean-Michel : « Le jour est la main gauche de la nuit, et la nuit est la main droite du jour »

— Ouais encore un truc de yin et de yang à la sauce woke-moi-l’nœud, quoi ! T’es en train de me dire que c’est de la SF, et qu’il y a pas de batailles spatiales grandioses ?

— Non, Jean-Michel, on est plutôt ici dans du roman initiatique, de la découverte d’un autre monde à travers le regard d’un personnage principal dont les idées préconçues vont doucement s’effriter à mesure qu’il avance dans ce monde à la géographie et au climat si particuliers, et à la population si différente.

— Oh ça pue le truc de gaucho, ça ! Y a même pas une ou deux petites explosions à la Michael Bay ?

— Figure-toi qu’étonnamment, non. On va plutôt s’intéresser ici aux explorations scientifico-géo-sociales de l’autrice : comment le climat d’une planète et l’adaptation d’une espèce (humaine, en l’occurrence) à ces conditions extrêmes peuvent influencer toute son organisation géopolitique, sociale, sociétale… le tout en moins de 400 pages. Tout à fait effiginal ! (EFFIcace et oriGINAL) (2). A partir d’un concept fort (des êtres asexués pouvant se doter lors de périodes définies des attributs sexuels en fonction des besoins de reproduction), Ursula K. Le Guin développe au fil de la glace – puisqu’on vous dit que ça caille, sur cette planète ! – la dimension psychologique de ses personnages au-delà du genre pour les considérer tels qu’ils sont réellement : humains.

— Je te l’avais dit, que c’était un truc de woke, ton affaire ! Ils peuvent pas nous laisser tranquilles, avec leurs lobbies « de la tolérance et l’amour bienveillant », là ?!? Qu’on reste entre couilles, quoi !

— C’est assez marrant que tu en parles, parce que le livre date de 1969… (nan, te marre pas, Jean-Michel…) Et c’est en ça qu’il est à la fois révolutionnaire et marqueur d’évolutions majeures dans la SF. Les stéréotypes sont déconstruits, parfois de manière frontale (on parlait plus haut de la question du genre), parfois de manière beaucoup plus subtile. Sur ce point, Le Guin semble tout particulièrement s’amuser, en se jouant des nombreux stéréotypes de l’époque : domination du masculin, préjugés sexistes du personnage principal…

— Hahaha ! « domination du masculin », « préjugés sexistes »… J’t’en foutrais, des stéréotypes ! Manquerait plus que le personnage principale soit noir, tiens !

— Ben…

— Non…

— Si…

— …

[En raison d’un incident de Jean-Michel, nous sommes contraints d’interrompre momentanément notre diffusion et vous proposons gracieusement ce petit intermède…

« Une vitesse d’impression… impressionnante ! La Canon Maxify GX7050 répond aux exigences d’un usage en entreprise. Ses débits d’impression élevés et son design révolutio… »

Ah… On me dit à l’oreiller que le Jean-Michel est de nouveau en service. Nous présentons nos excuses à notre aimable lectorat pour la gêne occasionnée et souhaitons vous remercier pour votre patience.]

« C’est pas possible, ça va beaucoup trop loin !

— Ça bouscule, ça interpelle, ça interroge, ça frappe aussi fort et juste que discrètement et efficacement, mais toujours avec un sens de l’équilibre incroyable. En sortant des préjugés de genre, en faisant de son héros une personne racisée (comme dans Terremer, d’ailleurs), Le Guin cherche à aider son lecteur, un homme blanc à la fin des années 60, à ouvrir les yeux autant qu’il s’ouvre aux autres.

— Bref, elle se fout de ma gueule, quoi !

— Pas du tout, Jean-Michel. Elle essaie simplement à te faire comprendre, sans jugement, que la personne en face de toi, quelle qu’elle soit, reste avant tout… une personne.

— Putain d’gauchiste ! »

La Main Gauche de la Nuit est fait pour toi si… tu es humain.

On a aimé :

– Un univers cohérent, que ce soit d’un point de vue sociologique ou d’un point de vue strictement scientifique (« les distances cosmiques et les impacts de dilatation temporelle » sont respectés selon 20c, et cela semble très important. Seb Goku, de son côté, n’en sait foutre rien et parvient difficilement à retenir une blague douteuse sur la dilatation)

– Une idée de base originale, novatrice… et totalement actuelle !

– Un tour initiatique dans le dernier tiers, absolument brillant (mais froid)

– Une jolie fin, cohérente avec le message du roman

– Aucun jugement ni manichéisme

– Les préface et postface de la dernière édition chez Robert Laffont

On a moins aimé :

– Ça caille, putain !

– Un ou deux chapitres un peu plus politiques ont un peu paumé 20c, probablement perdu dans un trou spatio-temporel (huhu)

– Un peu plus de chapitres « interludes » qui permettent de pousser plus loin les différents aspects de la vie sur Nivôse auraient été accueillis plus que chaleureusement

– Pas de préface ni de postface de l’édition du Livre de Poche, visiblement fort éclairantes (on peut pas tout avoir, certes 😉 )

– Ursula K. Le Guin… MAIS ÇA SE PRONONCE COMMENT, PUTAIN ?!?

(1) Nous tenons à rassurer nos aimables lecteurs (et lectrices merci Emy Lee) en les informant qu’aucun Jean-Michel n’a été maltraité durant la rédaction de cet article. Nos amitiés aux familles et aux amis de Jean-Michels.

(2) Un concept déposé par 20c

(3) y’a pas de trois.

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