Entre Mordu.e.s de SFFF, il nous arrive, au détour d’un salon, de nous échanger quelques ouvrages qui nous ont plu et que nous aimerions nous faire découvrir. Et c’est ainsi que je me retrouvai, à l’aube d’Ouest Hurlant 2024, dépositaire d’un exemplaire de Code Ardant, de Marge Nantel, grâce à ma camarade Josépha Juillet1.
Quel ne fut pas ma surprise de découvrir ledit ouvrage au cœur de la sélection « Prix Utopiales » de l’année ! C’est donc doublement intrigué que j’entamai ma lecture…
Livre lu pour la catégorie #P1D3, Un livre avec l’un des personnages principaux LGTBQI+
Une fois n’est pas coutume, commençons par le quatrième de couverture.
📖 Résumé
Dans un futur proche, notre civilisation n’est plus que l’ombre d’elle-même. De la technologie ne subsistent que des vestiges précieusement conservés par des villes fortes surprotégées. Quand la Forteresse d’Albi tombe, une équipe de convoyeurs recueille l’unique survivant : un garçon étrange, super entraîné, sans aucune conscience de lui-même, censé retrouver le mystérieux Prieur, qui cristallise toutes les convoitises de cette partie du monde.
Démarre alors pour eux un road trip survolté, hérissé de flingues et de carrosseries chauffées à blanc. Seuls leur talent à passer entre les balles et leur indéfectible amitié peuvent les conduire au bout de la route. Mais que cache le Prieur ? L’humanité apprendra-t-elle de ses erreurs ?
Alors ? le livre tient-il ses promesses ? Le quatrième de couverture est-il outrageusement marketté ou conforme à son contenu ? Je vous propose de le reprendre point par point, pour le décoder ensemble !
📖 « Dans un futur proche, notre civilisation n’est plus que l’ombre d’elle-même. »
🛞 Effectivement, c’est dans le futur ! Proche, mais pas trop : nous y retrouverons des mentions de notre monde de maintenant, via des éléments de l’univers (histoires, décor, technologies…) mais aussi et surtout par le biais de quelques personnages ayant connu la chute de l’époque en question. De quoi alimenter la fibre « prise de conscience écologique » des lecteurices que nous sommes, sans aller dans la Climate Fiction pour autant : ici, c’est avant tout un road-trip déjanté, brut, chaud, sale et poussiéreux2.
📖 « De la technologie ne subsistent que des vestiges précieusement conservés par des villes fortes surprotégées. Quand la Forteresse d’Albi tombe… »
🛜 Coup classique, qui dit postapo dit souvent technologie qui s’effondre. À l’instar d’un Mike Carey dans Koli, ou dans celle qui a tous les dons, ou Marguerite Imbert et ses Flibustiers de la Mer Chimique. Nous sommes en terrain connu… Et ce à double titre : car Marge Nantel choisit d’implanter son récit — ou du moins, une part de celui-ci — dans le sud de la France, permettant à bon nombre d’entre nous de faciliter la projection, et donc l’immersion. N’y cherchez pas non plus une débauche de détails, on n’y retrouvera que peu d’indications nous permettant de nous rattacher à nos cités bien connues. Nos ami.e.s marseillais.e.s hausseront peut-être un sourcil dubitatif : leur cité étant dépeinte comme une zone dangereuse tombée aux mains d’une mafia aux dents acérées3…
📖 « une équipe de convoyeurs recueille l’unique survivant : un garçon étrange, super entraîné, sans aucune conscience de lui-même… »
🙍 Et voilà donc l’un des éléments principaux du récit, qui participe à l’originalité et au charme de l’œuvre : Un personnage étrange, mi-esclave, mi-mentat, mi-homme de main, mi-jouet sexuel4… Endah, puisque c’est son nom, nous entraine avec force détails dans l’acquisition, bien malgré lui, de ce qui lui est refusé depuis sa naissance : Son humanité5. Marge Nantel nous entraine efficacement dans son monde intérieur, où son corps semble n’être qu’un objet, le « bien ». Nous partageons ses doutes, ses incompréhensions, des autres comme de lui-même. « Qui est ce qui souffre quand le bien souffre ? ». Certes, parfois, on peut avoir le sentiment que les choses vont un peu vite, mais creuser plus eut été aux détriments d’autres éléments du récit tout aussi intéressants… Mais je vais un peu vite en besogne !
📖 « censé retrouver le mystérieux Prieur, qui cristallise toutes les convoitises de cette partie du monde. Démarre alors pour eux un road trip survolté, hérissé de flingues et de carrosseries chauffées à blanc.«
🔥 Je sais ce que vous allez me dire. « On dirait Fury Road quand même ! ». Laissez-moi m’inscrire en faux ! Car même si l’on s’attend ici à retrouver une construction classique ainsi que tous les codes du genre, Marge Nantel prend soin — tout comme Marguerite Imbert en son temps — d’y inclure quelques éléments qui lui sont bien personnels. Déjà en se débarrassant des produits pétroliers à foison. Pas de gros moteurs qui font vroom vroom, pas de guitares qui crachent du feu, on reste sur du solaire, de l’électrique. Même si les plus exigeant.e.s d’entre vous me crieront « et elles viennent d’où, les batteries, tocard6 ? », on pourra tout de même faire preuve d’un peu de suspension, d’incrédulité. C’est de la fiction, et ça n’est de toute manière pas spécialement l’objet du récit !
📖 « Seuls leur talent à passer entre les balles et leur indéfectible amitié peuvent les conduire au bout de la route. »
🧑🤝🧑 Second élément principal du récit, et pas des moindres : La construction de la bande que nous allons suivre tout au long du récit. Postapo rime souvent avec abandon des normes et des codes sociaux7, permettant une redistribution de ceux-ci, parfois au bénéfice de celleux qui en étaient considérés à la marge8. Ici, nous y sommes, et c’est avec plaisir qu’on retrouvera un panel de personnages forts et attachants, pouvant faire front aux nantis et aux hommes et femmes de pouvoir faisant inévitablement leur apparition. Et Marge Nantel910 s’y donne à cœur joie : Gommage des frontières entre les genres, refonte totale des codes de l’amitié, de l’amour et du sexe, tout en restant dans l’ouverture d’esprit et le respect du consentement de l’autre (… sauf quand il s’agit de lui péter la gueule pendant les combats, n’exagérons rien). Je rassure celleux qui auraient peur de scènes de sexes à rallonge11 avec moult détails : Non, on n’est heureusement pas sur ce plan-là. Mais nos personnages n’hésiteront pas à signifier leur désir, et à nourrir leurs besoins sans honte ni retenue, sans se faire dévorer par la jalousie ou les dérives possessives et/ou violentes. Et ça fait plaisir !
🔫 Pour ce qui est du talent à passer entre les balles, j’avoue avoir quelque peu haussé les sourcils. Mais rassurez-vous, nos personnages n’en sont pas pour le moins totalement invincibles. Et si la chance leur sourit bien souvent (alors que tout le monde autour est mort…), Marge Nantel n’en oublie pas pour autant de mettre en scène leurs vulnérabilités. Quitte à pleurer certain.e.s d’entre elleux.
📖 « Mais que cache le Prieur ? L’humanité apprendra-t-elle de ses erreurs ? »
🤔 Autant j’ai été convaincu par l’ambiance, les personnages et leurs relations décomplexées, et par leurs péripéties explosives, autant l’objet de leur quête et leur objectif final m’aura laissé quelque peu dubitatif. Longtemps impalpable, l’on en vient à espérer une révélation fantastique qui mettra en cause jusqu’à l’existence même de leur univers. Bon. Autant dire qu’on n’y est pas vraiment. Alors, oui, je suis d’accord avec le fameux adage comme quoi le chemin et ses détours prévalent sur sa destination12, mais j’ai tout de même un peu de mal à me détacher du sentiment de « tout ça pour ça. » Pas éliminatoire, pour moi, mais un peu dommage !
🤩 Pour conclure, j’ai pris plaisir à lire cette histoire. C’est pour moi un bon bouquin qui parvient à utiliser les codes et les détourner pour servir son propos, avec originalité, ou l’on ne s’ennuit pas une seconde, où l’on partage la vie de nos personnages, où l’on ressent leurs peines, leurs espoirs, leurs douleurs. Avec une écriture et un style tout à fait cohérent avec cet univers. Au point où l’on aimerait avoir des suites… ? 🙂
🗒️Notes de bas de page
- Achetez ses bouquins, d’ailleurs. Terre des Ombres, Mutation, Langrebrume et j’en passe… voilà, c’était l’instant pub même pas rémunéré ! ↩︎
- Un peu comme ma salle de bains. Je n’aime pas laver ma salle de bains. ↩︎
- Ouais bah pour une fois que ce n’est pas Nantes, hein. Pascal si tu nous écoutes, ferme-la. ↩︎
- et re « mi-serpent » derrière. ↩︎
- Pas le journal, hein. ↩︎
- Woooh ehhh détendez-vous, déjà. ↩︎
- si si ! relisez, ça rime ! ↩︎
- pas Nantel, ici. ↩︎
- alors qu’ici, si. ↩︎
- l’impératrice. Oui, je fais des notes de bas de page à tiroir, si je veux. ↩︎
- Ce n’est pas la taille qui compte. ↩︎
- Dixit quelqu’un qui n’a probablement jamais dû aller à Châteauroux en août en blablacar dans une 106 sans clim et sans suspensions, sur la banquette arrière, à la place du milieu, entouré d’un chien qui pète et un camarade qui ronfle. ↩︎
[…] Le tout dans un monde qui ne semble peut-être pas si inhabitable que ça, Humains que nous sommes. Plus de détails dans l’avis que vous pouvez trouver quelque part sur mon blog… […]