Du Thé pour les Fantômes – Chris Vuklisevic

Je suis allé dans la région niçoise, en vacances, y a une bonne quinzaine d’années : il faisait trop chaud, ça montait et ça descendait beaucoup trop, et les gens roulaient beaucoup trop vite. Bref, j’ai a-do-ré !

J’étais donc fort enjoué à l’idée de repartir découvrir ce beau pays, grâce au bien célèbre « Du thé pour les fantômes », de Chris Vuklisevic. Célèbre me direz vous ? Oui, à cause de sa théière en couverture !

EXPLICATION:

Je soupçonne Jean Yves Loisy et Océane Henry d'avoir comploté avec l'autrice, dès début janvier 2023, en proposant, dans leur défi lecture des mordus, une catégorie "une théière en couverture" #M2c5. Laissez moi donc crier au scandale, au délit d'initié, à la collusion.

Bref, ceci étant éclairci, laissez moi donc vous conter ma lecture !

📖 Le Bouquin

📖 Chris Vuklisevic commence fort, en cassant tout. Bon, en vrai, elle casse surtout le quatrième mur1, car nous voilà, lecteurice, assis dans un salon de thé à l’ambiance étrange, refuge d’une pluie battante et inattendue. En compagnie d’une personne, d’un narrateur étrange, qui nous fait remarquer que la solitude n’est qu’apparente : théières et tasses semblent animées d’un mouvement propre : car c’est ici le repaire des fantômes. Non : ne fuyez pas, pas tout de suite: car cet étrange personnage a une histoire à nous raconter2.

📖 Attention… Et paf ! Saut dans le temps ! Nous voilà en 1940, dans les contreforts de la vallée des Merveilles. Pour un heureux événement, celui de la mise au monde d’en enfant. Oh… Attendez ! Vla t’y pas qu’ils sont deux… Ce qui semble être un drame pour la maman, d’autant plus que le père des dits enfants vient de rendre l’âme brutalement.

📖 Aidée d’une sage-femme en provenance du village voisin, la maman met au monde tant bien que mal les deux rejetons. Dont l’une, car deux filles ce sont, arbore déjà une première dent, et n’hésite pas a en usé, telle un castor juvénile. Accessoirement, la cadette dégobille des papillons noirs dont la particularité est de flétrir les choses sur lesquelles ces p’tits cons là se posent.

📖 Retour dans une époque plus contemporaine où l’on retrouve Félicité, l’aînée des deux sœurs sus-citées, au volant de son p’tit bolide, dans les rues de Nice. Elle rend visite à sa mère âgée, recluse, passablement dérangée, totalement schizophrène, seule occupante de son village désormais fort abandonné. Et au passage, d’apprendre que Félicité semble, comme dans une certaine oeuvre cinématographique, voir des gens qui sont morts.3

📖 À propos de mort, une fois rentrée à sa maison, Félicité découvre avec stupeur un message sur son répondeur : où elle y découvre que sa mère, dans un dernier élan de folie, vient de rendre l’âme… Et qu’est-ce qu’on fait quand mamie vient de nous claquer dans les doigts ? Bah, on prend un thé. Avec lequel on s’amuse, au fond de la tasse, à écrire un message.4

📖 « C’est un peu con », me direz vous. Certes, mais c’est sans considérer que le lendemain matin, figure un très joli « jarive »5 au fond de la tasse : un message d’Agonie. Non, pas l’agonie type Marion Cotillard, Agonie, avec un A majuscule : car c’est le nom de la frangine depuis longtemps disparue.

📖 S’en suit alors, la quête de deux sœurs séparées depuis plus de trente ans, cherchant à comprendre, à entendre les derniers mots d’une mère, fauchés dans ses derniers instants : car lorsqu’il reste des choses à dire, les fantômes surgissent, pour qui peut les entendre. Et ainsi explorer son histoire, leur histoire, où que cela puisse les amener, et peut être enfin, se réconcilier avec le passé.

🤩 Mon avis

🤩 J’ai aimé ce livre ! Commencé un vendredi soir d’une semaine quelque peu usante, il m’aura accompagné tout le week end: il m’en a même été parfois compliqué d’en décrocher.

🌧️ Ambiance calme et feutrée, teintée de mystère dès les premières lignes, rien de mieux pour m’accrocher : je ne saurais que trop louer les capacités de l’autrice à bien vilement nous manipuler 😉 Effet magique de l’évocation de la pluie, qui pousse à nous réfugier toustes bien au sec et au chaud sous la couette, imaginaire « cosy » du thé et de ses rituels : On y est, c’est bon, adieu le monde réel.6

⛰️ Rajoutez à cela l’ancrage local du récit dans l’arrière-pays niçois, dépeint ici comme sombre et mystérieux : dichotomie parfaite entre le fantastique et le réel, pour ne plus nous lâcher. On y est, on est dedans, on y reste. On y restera jusqu’à la fin.

👻 Parlons-en, de ce fantastique. Il est amené assez naturellement, toujours assez habilement, via ce premier chapitre. La suspension d’incrédulité n’en est que plus simple : oui, les fantômes existent, oui, ils sont là, pas d’effort nécessaire pour les insérer dans l’univers : ils sont, simplement.

✏️ Chris Vuklisevic use également de l’écriture en vers, à quelques reprises dans le récit. J’avoue avoir été un peu surpris, d’autant que je suis habituellement assez peu sensible à l’exercice : peut-être (sûrement) un manque de culture de ma part, mais je ne parviens qu’assez peu à en saisir l’esprit, la beauté, l’intérêt, quoi. Et bien, chose étonnante, ça a fonctionné : de me retrouver surpris, à la fin de ces quelques pages, par un sentiment étrange que je n’avais pas anticipé : celui de l’émotion provoquée par ces quelques mots. De les relire à tête reposée, un peu plus tard, et être convaincu de leur intérêt, servant ainsi l’émotion de l’intime. Presque une petite épiphanie pour le novice que je suis 😉

🫖 Revenons à des considérations plus terre-à-terre, quoi que. Car s’il est bien un objet, que dis-je, un personnage qui y est lié, c’est bien le thé, celui d’un terroir ici imaginé. Personnage, presque, car vous le verrez, certains objets liés à sa préparation prennent vie, alors que ses feuilles elles-mêmes prennent un rôle dans le récit : plus qu’un élément d’ambiance, le thé devient un outil, qui ne révèle pas que ses saveurs, mais aussi les pensées de bien obscurs esprits. Habile.7

😶‍🌫️ Alors certes, tout n’est pas parfait, dans cette œuvre: pour ma part, j’ai parfois été un peu perdu dans certaines explorations de nos personnages : parfois perdu par une distinction monde réel/mondes intérieurs, parfois peu aidé par une chronologie que je n’avais pas forcément comprise de premier abord : ce qui est probablement une intention, aura chez moi déclenché quelques doutes et quelques égarements.

🧙‍♀️ j’aurais pu m’arréter à ce simple point négatif, mais c’était sans compter avec les échanges que j’ai pu avoir avec mes ami.e.s. Car d’aucun.e.s auront évoqué quelques défauts, que je ne saurais contredire. En premier lieu, ce trope un peu trop habituel, terrain de bien des dérives sociétales et sociales : ce qui est joli est positif, ce qui est laid est négatif. Il en est des deux sœurs, l’une dépeinte comme « normale », l’autre comme « monstrueuse », mais qui devient plus belle lorsqu’elle évolue vers le positif. Bon… Dommage, trop classique, voir un peu daté.

🔪 Une deuxième critique vient de ce que parfois, le récit emprunte une certaine violence pas forcément nécessaire, qui peut en choquer certain.e.s: pas forcément de poupées tueuses8, mais plus parfois des comportements qui semblent gratuits et n’apporter rien au récit. Je me garderai bien de divulguer ces moments indicibles, mais reste prêt à en discuter en privé 😉

🤩 Malgré tout, je reste attaché à ma première excellente impression : celle d’une belle histoire de deux sœurs en quête d’identité, de paix, entre elles, mais aussi avec elles-mêmes. Une histoire que j’aurais dévorée le temps d’un week-end… Qui aurait gagné à être vraiment pluvieux 😉9

Allez, sur ce, je vous laisse, je file préparer mes prochaines vacances. Mais probablement pas dans le sud-est de la France: je ne sais pas où j’ai foutu ma panoplie de Ghostbuster…

🗒️ Notes de bas de page

  1. Expression en provenance directe du théâtre, appris-je en en discutant avec Stéphanie d’Outrelivres, mais aussi des BD US ! Ivresse de la culture. ↩︎
  2. et qu’à la fin ca s’appeleriot pas trop quézac, finalement. ↩︎
  3. Petite pensée pour bruce willis, qui, lui aussi, [vanne censurée] ↩︎
  4. Après le minitel, le minitasse. ohohoh. ↩︎
  5. Les jeunes ne savent plus écrirent, comme dirait l’autre. ↩︎
  6. En même temps il est vraiment tout pourri. ↩︎
  7. Bill. ↩︎
  8. oui, c’est un traumatisme pour moi, que voulez vous. ↩︎
  9. Ca s’est bien rattrapé depuis. ↩︎

📖 Résumé officiel

« Quand on est vivant, on occupe les places que les morts ont laissées. C’est la règle. »

Agonie est sorcière. Félicité, passeuse de fantômes. Le silence dure depuis trente ans entre ces deux filles de berger, jusqu’au jour où la mort brutale de leur mère les réunit malgré elles.
Pour recueillir ses derniers mots, elles doivent retrouver son spectre, retracer ensemble le passé de cette femme qui a aimé l’une et rejeté l’autre. Mais le fantôme de leur mère reste introuvable, et les témoins de sa vie, morts ou vivants, en dessinent un portrait étrange, voire contradictoire.
Que voulait-elle révéler avant de mourir ? Qui était vraiment cette femme fragmentée, multiple ?
Leur quête de vérité emmènera les sœurs des ruelles de Nice au désert d’Almería, de la vallée des Merveilles aux villages abandonnés de Provence, et dans les profondeurs des silences familiaux.

Entrez dans le salon de thé. Prenez une tasse chaude à l’abri de la pluie. Écoutez leur histoire.

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