Utopiales 2025 – Interview d’Alastair Reynolds

Bonjour à toustes !

Après mon interview impromptue d’Audrey Pleynet aux Utopiales 2024, je décidais de franchir le grand pas en 2025 et de demander enfin des interviews « officielles » via l’attachée de presse des Utopiales. Alors que je comptais me limiter aux auteurices francophones (pour des raisons linguistiques…), et que je m’en étais ouvert à Allan de « Fantastinet« , Stéphanie de « De l’autre côté des livres » m’a proposé de demander l’interview d’Alastair Reynolds, en binôme !

Voici donc cette interview (également disponible sur outrelivres.fr), que nous avons donc eu le plaisir de réaliser tous les deux. Nous y parlerons de ses inspirations, de son travail, et des futures sorties à prévoir ! Vous allez voir, c’est passionnant !

Vous avez commencé à écrire de la science-fiction dans les années 1990 ? 

Oui. J’ai commencé à y avoir du succès dans les années 1990, mais j’en ai eu l’idée dès le début des années 1980. C’est l’année de mes 16 ans, en 1982, que je me suis décidé en me disant : « je veux devenir un écrivain de science-fiction, et je veux en savoir plus sur ce métier. » C’est à ce moment-là que j’ai commencé à traquer les magazines disponibles pour voir comment écrire des nouvelles, avant de soumettre les miennes. Ce que j’ai commencé à faire en 1985, mais il me fallut encore cinq ans avant d’en vendre une. C’était un processus qui a mis plus de dix ans à aboutir.

Pourquoi vouliez-vous écrire plus particulièrement de la science-fiction ?

Je suis tombé amoureux de ce genre très tôt. Pas seulement la science-fiction littéraire, mais aussi de celle à la télévision, dans les films, les comics… Je trouvais que c’était si imaginatif et fascinant. Je ne n’imaginais pas écrire quoi que ce soi d’autre. Ce n’était pas un choix difficile ! Je n’ai jamais eu de vrais atomes crochus avec la fantasy. Je n’ai rien contre, mais pour moi c’était la science-fiction à 100 %.

Votre premier cycle était celui des Inhibiteurs qui rassemble des nouvelles et des romans. Ce qui est intéressant dans celui-ci est qu’il n’y a pas de « solution miracle », comme voyager plus vite que la lumière… Votre science-fiction reste souvent très proche de la science. Pourquoi avez-vous choisi de ne pas avoir d’outils magiques ou de solutions miracles dans vos livres ? 

Quand j’étais adolescent, pour revenir à cette époque, j’ai effectivement écrit deux romans. J’en ai commencé un à 13 ans et l’ai fini à 16. Puis, j’en ai écrit un autre, également à 16 ans. Et encore un à 18 ans. C’étaient des romans de science-fiction liés qui étaient très inspirés de la SF que je lisais à l’époque, mais aussi de ce que les films et la télévision me montraient. Ils contenaient du voyage supraluminique, des champs de force et des rayons tracteurs. Tout ce qui était dans Star Wars et Star Trek était dedans. 

J’ai fini d’écrire ces livres à une période où je commençais à lire à propos de la vraie physique et de la vraie science dans des magazines de vulgarisation. J’ai commencé à me sentir mal à l’aise avec ces histoires d’aller plus vite que la lumière, parce que, même si j’apprécie énormément la SF où cela existe, je me suis dit qu’il pourrait être intéressant de se limiter soi-même. C’était une façon de se créer de nouvelles opportunités créatives en restreignant ce qu’il est possible de faire.  

J’ai également commencé à lire d’autres auteurs qui allaient également dans ce sens. Comme Gregory Benford, dont j’ai commencé à lire les livres en 1982 et que j’ai énormément lu durant cette décennie. Il n’utilise que rarement le voyage supraluminique : tout va toujours moins vite que la lumière et cela rend tout si immense, mystérieux et ancien. J’aime assez cette idée. J’aime cette sensation : celle d’accepter de prendre une éternité pour rejoindre un autre système solaire. C’est le chemin que j’ai choisi de suivre. Mais, même dans les livres de l’espace de la Révélation, le cycle des Inhibiteurs, il y a du voyage supraluminique. C’est juste une très mauvaise idée. 

Quelque chose que l’on ne tente pas si l’on ne veut pas avoir d’ennuis ?

Pour être honnête avec vous, il y a de la science « magique » dedans. Il y a du voyage dans le temps, des signaux venus du futur, des moteurs à inertie, etc. Il y a beaucoup de la science décrite qui est réellement à la marge, même dans ces livres. 

Pour parler d’une autre trilogie que j’adore dans votre œuvre, même s’il n’y en a eu qu’un de traduit en français, c’est celle des Revenger. Elle a été classée en « young adult ». Avez-vous l’intention d’écrire d’autres livres pour un public plus jeune ? 

Avec ces livres, je pensais revenir aux livres que j’aimais quand j’étais plus jeune. Ils n’étaient pas forcément ciblés « jeunesse » ou « young adult », mais c’étaient des livres de SF accessible. Celui que je ne cesse de mentionner tout le temps est Nova de Samuel Delany, que j’ai aussi lu quand j’avais 16 ans. Je crois que mes seize ans ont été très marquants pour ma formation ! Il fait environ 200 pages que vous dévorez. C’est toute une civilisation galactique en juste 200 pages et une très bonne histoire d’aventure. Il y a des gentils et des méchants, et il y a de la mythologie et de la philosophie, de la métaphysique et de la cybernétique. Je trouvais ça formidable qu’il ait assemblé tant de choses dans un roman si court. Je me suis toujours dit : « j’aimerais écrire un livre comme Nova. » 

Avec Vengeresse et ses suites, je ne me suis pas demandé si c’était du « young adult » ou non. Je voulais juste écrire un livre accessible, que vous puissiez lire en étant adulte, mais également quand vous avez 16 ans. L’idée était de faire court et rapide. 

Je crois que l’étiquette « Young Adult » y a été apposée, car les protagonistes sont d’abord des adolescentes. Mais quand j’ai lu cette trilogie, j’ai pensé d’abord à Albator ou Cobra, et les autres anime que j’adore…

Je ne les connais pas. 

Par rapport à ce que vous connaissez, cela m’a rappelé les épisodes de Doctor Who dans l’espace ou de Torchwood. C’était la même sensation.

Vous avez raison. Les protagonistes sont des adolescentes, puis de jeunes adultes. Mais, dans Dune, Paul Atreides est un jeune adulte. Pourtant, nous ne considérons pas normalement Dune comme un livre de SF « young adult ». Personnellement, je l’ai lu à 15 ans et c’était plus gros livre que j’ai lu jusque-là. J’ai toujours été très partagé pour décider si ma trilogie Revenger est du « young adult « ou non. Mon éditeur n’a pas pris de décision. Puis Locus lui a donné une récompense en 2017, mais dans la catégorie Young adult. Ce qui a clos le débat. Cela ne me dérange pas tant que ça. C’était le livre que je voulais écrire à ce moment-là. Je crois que c’était aussi que je voulais écrire quelque chose d’amusant, un peu dans l’esprit de L’Île au trésor

(Vincent) Personnellement, j’ai adoré La Maison des Soleils et les noms que vous donnez à vos personnages : Campion, Purslane, Burdock… Où trouvez-vous de telles idées pour les noms ? 

Savez-vous d’où viennent ces noms ? 

(Vincent) Non, j’avoue ! (Stéphanie) J’ai une idée, mais je ne me souviens pas spécifiquement pour La Maison des soleils. En revanche, en lisant Les nuits de Belladone, j’en ai vu en me disant « Oh c’est Dune ».

Tous les personnages dans la lignée Gentiane sont nommés d’après des fleurs. Principalement des noms britanniques de fleurs et de quelques plantes également. Gentiane est également une plante. Elle s’appelle Abigail Gentiane, juste parce que j’aime le nom. Je me suis dit : « quand elle a créé ces 1000 clones d’elle-même, elle leur a tous donné des noms de fleurs. » C’est le thème commun parmi eux…

Mais oui, trouver des noms pour des choses est très délicat, surtout quand vous en êtes à votre 22roman et que vous essayez de trouver un système de nommage original. C’est délicat, je l’ai fait, mais je n’aime pas particulièrement inventer des noms comme « Smiggle Piggle », ou « nous étions en guerre contre les Nébulons », ou « les Zagroïdes » ou quelque chose d’approchant. J’aime les noms qui dérivent d’un mot préexistant, mais il devient de plus en difficile de trouver quelque chose qui convienne et qui soit original.

Dans Terminal World, cela n’a pas été traduit (NDLR Et pour cause, le roman paru en 2010 n’est pas encore disponible en français), mais je crois que la plupart des noms dérivaient d’armes blanches. Je venais de recevoir un gros livre rempli de vieux noms pour les couteaux, les dagues et les épées, et je les ai tous pris. Cela m’a aidé un peu. Cela me donnait le sentiment qu’il y avait quelque chose en accord avec le texte, juste en dessous de la surface.

Sur quoi travaillez-vous en ce moment ? 

Sur rien du tout, car je viens tout juste de finir un roman. J’ai écrit Halcyon Years que j’ai terminé au début de l’an dernier (NDLR En mai dernier, Le Bélial’ annonçait en avoir acquis les droits). J’ai commencé à écrire un autre livre qui devait être un space opera, un livre unique. Et je suis allé à la WorldCon de Glasgow, ce qui a interrompu mon travail d’écriture pendant trois semaines. A mon retour, j’avais perdu tout intérêt pour ce livre. Il ne m’excitait plus.

Puis j’ai paniqué. J’ai écrit une novella, The Dagger in Vichy que Le Bélial’ va publier, je crois. Mais c’était juste pour que j’écrive quelque chose. Une fois que c’était fait, j’avais toujours le problème que « quel sera mon prochain livre ? » Dans mon accord avec mon éditeur, il avait toujours été question d’un livre rassemblant mes quatre histoires autour de Merlin écrites sur une période de plus de 20 ans. L’idée était de les rassembler en un seul endroit et d’en faire un seul livre. 

Je croyais que ce serait assez simple, mais cela s’est révélé bien plus dur que je ne l’avais pensé. C’est devenu un livre très difficile, qui m’a pris une grande partie cette année. J’ai eu six mois de retard, mais je suis parvenu à le finir en septembre. C’était un projet bien plus difficile que je ne l’aurais cru ! 

Les quatre histoires originales faisaient 85 000 mots au total, ce qui n’est pas loin de la taille d’un livre. J’ai souhaité mettre du lien entre les histoires, comme commencer par une scène d’ouverture, avoir une conclusion et quelques scènes intermédiaires. Je comptais avoir besoin de 10 000 à 15 000 nouveaux mots, mais je suis arrivé à 85 000 mots, j’avais écrit autant sur Merlin que dans mes histoires originelles, juste pour que tout tiennent ensemble et soit cohérent. 

C’était un gros projet. Je suis content de l’avoir terminé, il me plait tel quel, mais ce fut difficile !

Quand sera-t-il publié en anglais ? 

Je ne sais pas, car l’année 2025 est déjà bien entamée. Je ne suis même pas certain qu’il sorte l’an prochain. Ce n’est plus de mon ressort. Cela va dépendre de mon éditrice, et de sa vitesse de lecture. Elle l’a en main, mais elle ne l’a pas encore lu. Je crois raisonnable d’envisager qu’il ne sera pas publié avant 2027. Mais je n’en sais rien. Bien sûr, j’ai un autre livre à écrire. Je sais ce que je veux qu’il ne soit pas. Ce ne sera pas un space opera, car je viens d’en faire un. Je ne veux pas écrire quelque chose comme Halcyon Years, une espèce de polar noir. Il y a de nombreuses choses que je ne veux pas faire. Je dois décider ce que je veux faire. 

Vous avez plusieurs livres comme Pushing Ice (ou Janus en français) où vous avez déclaré vouloir revenir dans cet univers, sans l’avoir fait. 

Et je ne le ferai jamais, maintenant. Je crois qu’il s’est écoulé trop de temps. Depuis quelques années, j’essaie d’être honnête sur ce point avec les gens. Je pense que la probabilité que j’y revienne n’avait jamais été très haute. Je suis déjà trois éditeurs plus loin que quand j’ai écrit ce livre. Et si je retournais voir la maison d’édition en disant : « que penseriez-vous d’une suite à Janus ? », je ne crois pas qu’il serait très emballé. Pareil pour La Maison des soleils, ou Terminal World. Je pense que pour tous ces livres, même si j’ai aimé les écrire, il est temps de laisser dormir. Je sais que c’est décevant pour certains, mais… Une fois que c’est fini, c’est fini. Par exemple, les livres de Stephen King et de Peter Straub : le premier était génial, le deuxième pas tant que ça. Et je ne veux pas lire le troisième. 

J’ai eu ce même ressenti quand j’ai écrit la trilogie Revenger, j’ai trouvé que le premier était très original. Le deuxième était correct. Et le troisième a été assez compliqué à réaliser ; à cause d’événements personnels. Ma mère était très malade quand je l’écrivais, donc c’était une période difficile de ma vie. Mais elle a établi quelque chose en moi : je ne veux plus écrire que des nouveautés à partir de maintenant. Je ne veux plus écrire de trilogies ou de suites. Chaque livre sera unique, sans lien avec un autre. 

(Vincent) Ma dernière question, en tant qu’ancien astrophysicien, avez-vous déjà rencontré Brian May ? Avez-vous déjà bu une bière ou un café avec lui ?  

Je l’ai rencontré oui. J’ai fait une conférence scientifique avec lui en 2018. Je l’ai rencontré dans sa loge, et nous avons eu une discussion agréable. Nous étions deux ou trois avec lui à ce moment-là. Puis nous avons fait une table ronde avec lui sur l’espace sur scène. C’est un homme vraiment charmant. Avez-vous déjà croisé Brian May ? 

(Vincent) Malheureusement non !

 L’appréciez-vous ?

(Vincent) Oui !

Parce que, quand vous le rencontrez, il est à 100 % Brian May. Il n’y a pas de différence entre la personne publique et le Brian May privé. Il est ce que vous voulez qu’il soit. C’est un homme assez grand, mais il a ces cheveux et il parle comme Brian May. Il est très passionné par les sujets qui le préoccupent, mais c’est vraiment un homme charmant. J’aurais aimé passer plus de temps avec lui. 

(Stéphanie) Enfin, ma question rituelle : que lisez-vous en ce moment ? 

Je lis Dernier meurtre au bout du monde de Stuart Turton. C’est son troisième roman et il écrit des histoires de détective, mais avec des prémisses étranges. Son premier roman, Les Sept morts d’Evelyn Hardcastle, je ne l’ai pas terminé. J’ai eu du mal avec. Puis j’ai lu son second roman, qui était L’Étrange Traversée du Saardam. Cela se passe au 17siècle et c’est une histoire de meurtre sur un navire. Celui-là je l’ai vraiment apprécié. L’actuel, j’ai également du mal avec. 

Auriez-vous un livre à recommander à nos lecteurs ? 

Le dernier livre que j’ai lui avant celui-ci était April in Spain de John Banville (NDLR Paru en français sous Le printemps basque d’April Latimer). C’est une enquête, mais il y a également des liens avec la politique irlandaise, et les Troubles (NDLR Nom donné par la sphère anglophone au conflit qui ravagea l’Irlande du nord pendant une bonne partie du XXe siècle), et aussi avec la politique espagnole après Franco. Cela se passe en Espagne après Franco et c’était excellent. John Banvillle a gagné le Booker Price, c’est un écrivain assez connu. Mais ce livre, je l’ai trouvé absolument fantastique. Je ne crois pas avoir lu beaucoup de science-fiction cette année car, quand j’ai de grandes difficultés pour écrire un livre de SF, je veux avoir la tête ailleurs pour mes loisirs.

Alors que nous coupions les micros, Alastair a très sympathiquement proposé de nous dédicacer nos deux livres, à Stéphanie et moi. Réagissant à mon prénom, Alastair nous a confié une anecdote que je ne peux m’empêcher de vous retranscrire !

« Vincent… Je connais bien ce prénom. Mes parents étaient tombés d’accord pour m’appeler Vincent, et puis, sur un coup de tête étrange, mon père, devant l’état civil, a finalement changé d’avis au dernier moment pour m’appeler Alastair ! Je ne sais pas vraiment ce que ma mère en a pensé juste après cela… »

Voilà, donc j’étais à deux doigts de porter le même prénom que cet auteur, aussi sympathique que passionnant !

J’en profite pour le remercier, et évidemment, je remercie également ma comparse Stéphanie sans qui cette interview n’aurait pu avoir lieu ! (enfin, si, mais sans moi…) 😉

Et foncez donc acquérir son dernier livre paru aux éditions Le Bélial’, La Grande Muraille de Mars…

3 commentaires

  1. Merci à vous deux pour cette interview. Je suis justement en train de lire la Grande Muraille que je pique encore un petit peu ça au soir et je me régale avec l’imagination de l’auteur ? Je suis donc ravi de pouvoir entendre sa voix grâce à vous. Cela me le rend encore plus sympathique et surtout je rêve maintenant de lire sa saga des inhibiteurs.

  2. Merci pour cette interview croisée qui me permet de découvrir tes lectures en même temps !

    Donc on va pouvoir encore lire du Reynolds au Bélial dans les prochains mois, prochaines années… c’est une bonne nouvelle !

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